vendredi 22 mars 2019

La dose de Wrobly : ventôse 2019 EC


  - Anton Tchekhov.- La Cerisaie / Oncle Vania.
  On se souvient de ma dose de prairial 2018, pour laquelle j'avais boudé un bouquin de Tchekhov de la bibliothèque de ma compagne, faute de désir (pour le bouquin, je vous reparlerai de ma vie sexuelle une autre fois). Finalement, deux évènements m'ont fait revenir en arrière, éveillant un début d'érection littéraire à l'idée de prendre connaissance de l’œuvre dramatique de celui auquel je ne nie nullement la qualité de grand écrivain, mais que je n'ai jamais rencontré, voilà tout. C'est maintenant chose faite.
  Les évènements sont : 
  1- ma mère s'est offerte ses œuvres complètes pour ne pas mourir idiote, et 
  2- j'ai aperçu le personnage de Tchekhov himself dans un divertissement cinématographique auquel j'ai bien voulu accompagner ma petite famille, Monsieur Edmond. Pour ajouter au caractère incitatif de ces simples correspondances, il y eut la situation à la fois cocasse et hautement morale de son personnage dans la diégèse du film : 
  1- il est au bordel, c'est censé être rigolo ;
  2- mais il ne consomme pas, donc pas d'apologie de la prostitution ! On reste dans l'éthique libertaire.
  La pièce Oncle Vania commence bien, avec un humour de caractère rafraichissant, se poursuit un peu lourdement avec le personnage atrabilaire de Vania et des histoires d'amour (à mon âge, vous savez, pourtant je n'ai que trois ans de plus que Vania, ah ! misère !)... Je poursuis tranquillou...


  - Walter Benjamin.- L’Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit).
  Walter Benjamin fait partie de mes légendes, c'est à dire des auteurs ou humains en général dont j'ai beaucoup entendu causer, et que j'aime déjà avant même de les avoir lus, vus, connus, en tous les cas pour lesquels j'ai un grand désir, inassouvi mais plein d'espoir de l'être un jour, on a tellement tendance à se croire éternels. C'est déjà un ami, par ce que j'en connais par la bande, en qui je pense pouvoir faire une totale confiance (quand en plus les noms qui papillonnent autour du sien dans les gloses diverses sont Adorno, Brecht, Horkheimer, et qu'on est vaguement conscient du tragique de sa fin, l'attirance en devient difficilement supportable). Et bien ça y est, je le rencontre enfin directement. Et je peux dire que, enfant de la reproductibilité technique des œuvres d'arts comme nous le sommes tous (et il y a eu internet plus tard), qui n'ai que rarement pu me confronter aux originaux mais ai fait mon miel de livres, de poches pour la plupart, de disques, de films et de photos, et de photos de peintures ou de sculptures, etc. - je peux dire que quand je finis par rencontrer via une reproduction une de mes légendes, cette reproduction (ici un livre de poche emprunté en bibliothèque), possède l'aura dont parle Benjamin à propos des œuvres d'art du passé, les originaux, authentiques, uniques ici et maintenant, et possédant dans leur matérialité toute l'histoire et toute la tradition de ce qui les a créés. Alors, cette aura, ce halo, cette énergie, cette vibration, ce magnétisme que semble posséder l'objet comme s'il était à cheval entre plusieurs dimensions spatio-temporelles, et cette émotion qui me prend quand je le saisis ne correspond peut-être pas au concept d'aura de Benjamin, ici c'est mon propre désir et son assouvissement après tant de temps, et le sentiment de toucher à quelque chose de grand, à une expérience unique, qui auréole l'objet imprimé (j'ai pu ressentir la même énergie en voyage, quand j'ai pour la première fois posé le pied hors d'Europe à 37 ans par exemple - dans ma famille on avait plutôt intégré le fait que l'avion était pour les riches - ou bien, et là ça rejoint Benjamin, en contemplant quelque œuvre originale ou arpentant quelque ville mythique (Berlin, Venise, Rome, Arleuf-en-Morvan), le fameux syndrome de Stendhal. Cette aura, je la ressens aussi à la vision de certains films, le cinéma étant pourtant pour Benjamin le type même de l’œuvre reproductible non seulement dans sa diffusion, mais dans sa définition même, dans l'essence même de sa production et de sa finalité, ou de certains disques. Alors, même si l'industrie de la culture fait de nous des consommateurs compulsifs, endoctrinés, aliénés et boulimiques (j'ai pensé à la Société du spectacle, qui paraitra 28 ans plus tard), parfois, de mon être, surgit une dimension surréelle (au sens des surréalistes, donc pas surnaturel, cultuel, magique ou religieux - comme les élans de Lascaux, les statues de Vénus de la cella des temples ou les toiles des madones des cathédrales [la cooccurrence ici d'un cervidé avec deux personnages féminins humanoïdes ne procédant absolument pas d'un lien de causalité ou de similitude mais étant purement fortuit ] - pas plus qu'au sens d'une théologie esthétique genre l'art pour l'art), un monde qui vient me bouleverser doucement mais profondément, et me donner envie que la vie entière prenne cette dimension, donc de la changer passionnément.
  Voyez comme un simple petit livre peut me rendre grandiloquent. "Pure mystique !" fulminerait Brecht "Malgré la posture antimystique. C'est donc ainsi qu'on adapte la conception matérialiste de l'histoire ! Il y a plutôt de quoi s'effrayer." Et il est certainement probable que de telles consolations sentant le romantisme faisandé ont plutôt comme résultat de m'éloigner du front, au contraire.
  Quant à Benjamin, il jugerait certainement que je n'ai rien compris à son livre, mais ça ce n'est pas grave, je me suis fait plaisir en attendant le collapse.

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