Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude (enfin, ce sera pour l'année prochaine maintenant...). Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
La beauté.
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Les poètes, devant mes grandes attitudes... Qu'est-ce que c'est que des grandes attitudes ? Vous paraissez gênés pour le pauvre Baudelaire et je vous comprends, mais ce n'est pas votre faute si ces grandes attitudes, venant après ce que nous avons vu, font irrésistiblement penser au photographe et à quelque reine de mi-carême. Mais je n'ai pas à lui en vouloir d'être pompier.
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments... Pas d'objection à ce vers-là non plus. Il est faible, il est plat, mais ce n'est pas la question. Tout de même, il est juste de noter qu'il ne signifie rien de précis. Consumeront leurs jours en d'austères études... Joli, mais bien exagéré. Ces façons de parler ne s'ajustent pas du tout à la réalité. Elles visent à donner du poète une image dramatique, éminemment fausse, et font de lui une espèce de prêtre-sorcier qu'il est en effet devenu dans nombre d'imaginations. Observez aussi que "les grandes attitudes" sont la cause de cette consomption et dites-moi pourquoi si vous pouvez. Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, - De purs miroirs qui font toutes choses plus belles... Notez le "car" qui exprime un rapport de causalité. Vous trouvez naturel que la fascination exercée par les yeux de cette Beauté sur de dociles amants contraigne ceux-ci à d'austères études ? Vous voyez là un enchaînement aussi nécessaire que tendrait à nous le faire croire le "car" ? Pour moi, c'est simplement du charabia. Et les purs miroirs qui font toutes choses plus belles, est-ce que ça a un sens ? De ce que la beauté existe, il ne s'ensuit pas que les choses laides se trouvent embellies. On attendrait même plutôt le contraire. Vu à côté d'une jolie femme, un laideron paraît encore plus laid, tout le monde sait ça. En écrivant ce vers que je me plais à reconnaître prestigieux, le poète en a certainement pesé le sens et il n'a pas pu lui échapper qu'il péchait contre la logique, l'évidence. A moins qu'il n'ait écrit sans réfléchir. Les deux hypothèses sont troublantes. Allons, finissons-en. Voici les derniers vers : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! D'abord, j'aimerais savoir ce que c'est que de larges yeux. Supposez qu'on vous dise d'une femme : "elle a l’œil large." Qu'est-ce que vous comprendrez ? Cela ne peut vouloir dire qu'elle a de longs yeux puisque, dans l'ordre des dimensions, la longueur est le contraire de la largeur. De grands yeux ? Non plus, car l'adjectif large ne peut pas, comme l'adjectif grand, exprimer le plus ou moins d'étendue d'une surface. reste que large mesure un écart remarquable entre la paupière supérieure et l'inférieure. C'est ce que l'on exprime couramment en disant de quelqu'un qu'il a de gros yeux ronds ou en boules de loto. Aucun doute, ce n'est pas là ce qu'a voulu dire l'auteur. Alors ? Eh bien, rien. L'auteur a posé là un mot vide de sens. Pour ce qui est des "clartés éternelles", je ne suis guère moins embarrassé. Lorsque Corneille fait dire à Polyeucte : "Éternelles clartés !" nous savons de quel ordre sont ces clartés, même si, n'étant pas touchés par la grâce, nous sommes incapables de nous les représenter. Dans le sonnet qui nous occupe, impossible de préciser s'il s'agit d'une lumière spirituelle ou d'un certain éclat du regard qui ajouterait à la beauté de la Beauté. "Éternelles", mot spécifiquement vague, mais qui appartient à l'arsenal de la spiritualité, ferait pencher pour la première supposition, mais le rayonnement spirituel implique une sorte de générosité qui ne s'accorde pas avec la majesté glacée de la Beauté. Qui sait même si ces clartés ne seraient pas de très baudelairiennes clartés de l'Enfer ? Bref, nous finissons en plein vague. Après avoir, tout au long de son sonnet, prodigué les non-sens, les absurdités, les obscurités, les impropriétés, les imprécisions, le poète termine sur une apothéose de flou. Et voilà comment on torche une œuvre impérissable, en coulant des sottises dans un moule assez beau, mais non pas irréprochables.
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments... Pas d'objection à ce vers-là non plus. Il est faible, il est plat, mais ce n'est pas la question. Tout de même, il est juste de noter qu'il ne signifie rien de précis. Consumeront leurs jours en d'austères études... Joli, mais bien exagéré. Ces façons de parler ne s'ajustent pas du tout à la réalité. Elles visent à donner du poète une image dramatique, éminemment fausse, et font de lui une espèce de prêtre-sorcier qu'il est en effet devenu dans nombre d'imaginations. Observez aussi que "les grandes attitudes" sont la cause de cette consomption et dites-moi pourquoi si vous pouvez. Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, - De purs miroirs qui font toutes choses plus belles... Notez le "car" qui exprime un rapport de causalité. Vous trouvez naturel que la fascination exercée par les yeux de cette Beauté sur de dociles amants contraigne ceux-ci à d'austères études ? Vous voyez là un enchaînement aussi nécessaire que tendrait à nous le faire croire le "car" ? Pour moi, c'est simplement du charabia. Et les purs miroirs qui font toutes choses plus belles, est-ce que ça a un sens ? De ce que la beauté existe, il ne s'ensuit pas que les choses laides se trouvent embellies. On attendrait même plutôt le contraire. Vu à côté d'une jolie femme, un laideron paraît encore plus laid, tout le monde sait ça. En écrivant ce vers que je me plais à reconnaître prestigieux, le poète en a certainement pesé le sens et il n'a pas pu lui échapper qu'il péchait contre la logique, l'évidence. A moins qu'il n'ait écrit sans réfléchir. Les deux hypothèses sont troublantes. Allons, finissons-en. Voici les derniers vers : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! D'abord, j'aimerais savoir ce que c'est que de larges yeux. Supposez qu'on vous dise d'une femme : "elle a l’œil large." Qu'est-ce que vous comprendrez ? Cela ne peut vouloir dire qu'elle a de longs yeux puisque, dans l'ordre des dimensions, la longueur est le contraire de la largeur. De grands yeux ? Non plus, car l'adjectif large ne peut pas, comme l'adjectif grand, exprimer le plus ou moins d'étendue d'une surface. reste que large mesure un écart remarquable entre la paupière supérieure et l'inférieure. C'est ce que l'on exprime couramment en disant de quelqu'un qu'il a de gros yeux ronds ou en boules de loto. Aucun doute, ce n'est pas là ce qu'a voulu dire l'auteur. Alors ? Eh bien, rien. L'auteur a posé là un mot vide de sens. Pour ce qui est des "clartés éternelles", je ne suis guère moins embarrassé. Lorsque Corneille fait dire à Polyeucte : "Éternelles clartés !" nous savons de quel ordre sont ces clartés, même si, n'étant pas touchés par la grâce, nous sommes incapables de nous les représenter. Dans le sonnet qui nous occupe, impossible de préciser s'il s'agit d'une lumière spirituelle ou d'un certain éclat du regard qui ajouterait à la beauté de la Beauté. "Éternelles", mot spécifiquement vague, mais qui appartient à l'arsenal de la spiritualité, ferait pencher pour la première supposition, mais le rayonnement spirituel implique une sorte de générosité qui ne s'accorde pas avec la majesté glacée de la Beauté. Qui sait même si ces clartés ne seraient pas de très baudelairiennes clartés de l'Enfer ? Bref, nous finissons en plein vague. Après avoir, tout au long de son sonnet, prodigué les non-sens, les absurdités, les obscurités, les impropriétés, les imprécisions, le poète termine sur une apothéose de flou. Et voilà comment on torche une œuvre impérissable, en coulant des sottises dans un moule assez beau, mais non pas irréprochables.
Vous voyez donc mes enfants qu'il n'y a aucune raison de s'en faire, nos grands hommes, nos monstres sacrés, nos génies dont les appendices alaires hypertrophiés sont une réelle entrave à la randonnée pédestre, sont finalement des gens comme nous : ils n'ont qu'une seule tête, ils n'ont qu'un seul cul ! Il n'y a donc a fortiori aucune raison de ne pas se rendre à la Brèche le 13 juin, pour soutenir nos beaux et valeureux mais néanmoins joyeux combattants du jour ! Cré nom !
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