vendredi 16 septembre 2022

Les yakuzas à la plage


      Après mes cycles Kurosawa, Mizoguchi et Ozu, je redescends un peu le temps pour découvrir l’œuvre d'un réalisateur plus jeune, Takeshi Kitano.

     J'ai souvent rencontré des émanations du Japon dans ma vie. Une petite amie japonaise, guide touristique originaire d'Osaka, pendant cinq ans, de 22 à 27 ans à la louche. Dans la folie de la jeunesse je ne me suis intéressé ni à sa langue (j'entends l'idiome, en ce qui concerne l'organe musculeux permettez-moi de garder un voile pudique sur la question), ni à sa culture, ni à son pays, ni à son histoire, ni à ses parents, ni à son enfance, sa vie là-bas, son parcours... quel con j'étais !). Puis à 27 ans, très mal dans mes baskets j'ai commencé l'aïkido, entraîné par un copain anar et enthousiaste. L'aspect japonais de cet art martial m'en touchait une sans déranger l'autre. Deux ans plus tard, ayant arrêté la picole et recherchant une pratique spirituelle pour retrouver un peu de force vitale face aux ruines qu'étaient ma vie et mon état de vie, je me suis mis à réciter un mantra bouddhique japonais. Cela ne m'a pas plus incité à me renseigner sur ces îles lointaines. Ça aurait pu durer encore longtemps et j'aurais pu continuer à pratiquer l'aïkido comme s'il s'agissait d'une déclinaison de notre savate, avec des mots techniques étranges mais sans racines, si ma mère et ma compagne n'eurent l'idée de quêter pour m'offrir le vrai voyage en 2019 pour mes 50 ans. Depuis, je suis devenu un aficionado (pas trouvé le terme japonais). J'apprends la langue, je surveille toute irruption de la culture (peinture, architecture, arts divers, histoire...) dans ma vie, et je ne regarde quasiment plus que des films japonais, histoire de rattraper mon retard. Je précise qu'ayant peu de temps en raison d'une boulimie d'activités qui caractérise bien le côté excessif de ma personnalité, je communie avec tout cela par pincées (c'est pas demain la veille que je parlerai nippon, je ne parle même pas allemand, ma première langue, que j'étudie toujours aujourd'hui).

     Parallèlement je constate une mode de dingue pour le Japon. Allergique aux vagues de caprices consuméristes et à toute injonction publicitaire et médiatique je m'en inquiète : serais-je devenu conformiste ? Heureusement je réalise que je n'ai que peu de goût pour les choses qui plaisent : mangas, anime (sauf exception), jeux vidéos, cosplay, idols... Par ailleurs l'essorage sur tatami restant encore une niche assez confidentielle, presque un goût pervers, et ne connaissant personne autour de moi adepte d'Ozu, je suis plutôt rassuré.
     Cependant, Takeshi Kitano, cinématographiquement parlant, c'est un peu l'anti-Ozu radical. Ozu : des films réalistes, tendres et familiaux, ou il se passe peu de chose, sinon les drames sentimentaux de toute existence, la perte des parents, la séparation d'avec ceux-ci, le passage de l'enfance à l'âge adulte, de la minorité en famille à la vie de couple, la vieillesse... Kitano c'est : film de genre et d'action, spécialement de gangsters, mais avec sa patte artistique vraiment originale. A la base c'est un humoriste de télé. Une espèce de pitre médiatique. S'étant mis au cinoche il s'est spécialisé dans les films de yakuzas ultra-violents... mais pas seulement, et les adeptes des films d'action et de thrillers (à la John Woo) pourront être frustrés : ses films sont aussi poétiques et le rythme de l'action est souvent cassé, par des scènes de jeux de plage notamment. Touche à tout, il fait aussi de la peinture et autres activités artistiques. Il a notamment influencé Quentin Tarantino, et ça se reconnait souvent (par exemple le côté puéril des tueurs de la mafia entre deux carnages). Cerise sur le gâteau : les BO des films de Kitano sont de Joe Hisaishi, eh oui ! le compositeur des anime de Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké...), que personnellement j'affectionne particulièrement, films et musique.

- Sonatine, mélodie mortelle, 1993.


Raisiné et jeux de plage.

- Aniki mon frère, 2000.


Carnage balnéaire.

- Dolls, 2002.

     Ce film est un peu à part. C'est un peu une parabole à sketchs sur l'amour fou, l'amour glauque, morbide, à mort. J'ai pensé aux Amants crucifiés de Mizoguchi (même si eux ne sont pas fous, juste très amoureux et en butte à la persécution de l'ordre social et moral qu'ils tentent de fuir), mais aussi à Dodeskaden (cette transfiguration des réprouvés, des marginaux) de Kurosawa, et à Rêves, du même et pour la la même raison d'une esthétisation aux couleurs et à la lumière à l'effet surnaturel ou onirique de l'enfer.

- Outrage, 2010.

     Une scène fait obligatoirement penser à Marathon man, en ce qui me concerne du moins, mais en moins douloureux pour le spectateur, car plus excessif donc moins réaliste. C'est dégueulasse, mais on y croit moins. Un indice ? Œil pour œil, dent pour dent.

- Jugatsu, 1990.


Défouraillage et crustacés.


Et merci à George Weaver, qui m'a informé d'une série d'émissions sur France Culture sur le cinéma japonais, c'est ici !

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