lundi 22 mars 2021

La Dose de Wrobly : ventôse 2021 EC


- Claude Willard.- La Nasse.

      Claude Willard militant socialiste, SFIO à l'époque, fréquentant le gratin politicien du Front populaire français de 36. Blum, Salengro, Dormoy, encore ça passe, mais quand on lit le nom de Jules Moch, le réprimeur de mineurs grévistes en 47 et 48 ("Jules Moch montre une grande fermeté pour assurer la reprise du travail." Que ceci est joliment tourné, j'adore l'art de la litote de Wikipedia, voici donc concrètement en quoi consiste cette "fermeté" : "Pour contrer la grève, Jules Moch mobilise 60 000 CRS et soldats, qui se heurtent aux 15 000 grévistes retranchés dans les puits, et leur imposent, fin novembre une cuisante reprise du travail. [...] la répression est sévère, avec plus de 3 000 licenciements, six morts et de nombreux blessés." Wikipédia toujours), ça fait quand même un peu mal aux seins. Certes, les grèves étaient pilotées par les staliniens, mais celle qui combat et trinque face aux milices du Capital et de ses socialistes (ou ailleurs de ses bolcheviques prétendument communistes), une fois de plus, c'est bien la classe ouvrière. Fermons la parenthèse, qui d'ailleurs n'avait pas été ouverte en l'occurrence. Revenons aux années 30, ces temps déraisonnables ou face au mal absolu, le nazisme, ce fascisme raciste et industriellement tortionnaire et assassin, l'héroïsme de la résistance a pu naître dans de surprenants camps habituellement antagonistes. Ce livre cependant n'est pas de résistance, mais de défaite et de détention : c'est un témoignage de la vie dans un Stalag d'une multitude de prisonniers de nationalités diverses. L'auteur décrit d'abord son burlesque et tragique service militaire en 34 dans une armée aussi bête qu'arriérée et traîne-savates. Puis vient la mobilisation et la drôle de guerre : on connaît la préparation française face à la détermination guerrière et conquérante nazie, elle prête à sourire aussi, ce qui rend un peu moins insupportable l'angoisse que procure la conscience de toutes les atrocités ultérieures. Puis la vie au Stalag. Cela se lit bien, pas mal d'anecdotes, de la vie quotidienne. Et, pour ce qui est des atrocités, comme le dit l'auteur à la fin de son service militaire :"Les hommes se font de l'enfer une conception très fluctuante. L'enfer ne devait s'ouvrir, pour moi, que six ans plus tard. Et sa rigueur fut sans commune mesure moins terrible que celle qui frappa les victimes des camps d'extermination".

En lisant ce livre j'ai pensé à mon grand-père (par alliance), titi parisien qui aimait à l'occasion nous raconter ses années de Stalag en Prusse orientale. Certes, la faim, le froid l'ont traumatisé. Mais que de rires, de sourires, de nostalgie dans ses récits. Ce soldat allemand, voyant un prisonnier pisser s'exclamant, époustouflé et émerveillé par ce qu'il voyait : "Wie ein Pferd !" ("Comme un cheval !"). Ou cette méthode pour éviter que les copains perdent leur nez quand il commençait à blanchir de gel : prendre de la neige et le lui frictionner avec... Bref, un petit hommage à papy Roger, qui dans sa prime jeunesse était caissier aux abattoirs de la Villette, là-dessus aussi il nous en a raconté de drôles ! Dommage qu'il fût de droite (pour lui, les "Popofs", comme il disait, qui les ont libérés, étaient pires que les soldats allemands...).

Quelques extraits : 
 
Une armée d'une rare efficacité

      "L'armée alpine était tractée par des mules ou des mulets. Le muletier était le technicien de 1934. Son rôle aurait donc été primordial s'il était survenu un conflit avec nos voisins fascistes, fort remuant à l'époque.

Pacifistes en 14, pacifistes en 33 ?

      "Comme il est décevant de rappeler les déclarations enflammées des socialistes à la veille des guerres de 1870 et de 1914 !
Le 12 juillet 1870, les sections parisiennes de l'Internationale avaient lancé un appel aux travailleurs de tous les pays contre la guerre : "
Une fois encore, sous prétexte d'équilibre européen, d'honneur national, des ambitions politiques menacent la paix du monde... Frères d'Allemagne... restez sourds à des provocaations insensées car la guerre car la guerre entre nous serait une guerre fratricide... Nos divisions n'amèneraient , des deux côtés du Rhin, que le triomphe complet du despotisme..."
      En 1913, les cent dix députés socialistes au Reichstage et les soixante douze députés socialistes français signaient un manifeste en vue "d'un effort commun pour une union pacifique et amicale des deux nations civilisées". Ce manifeste se terminait par ces mots : "C'est sous le même drapeau de l'Internationale - de l'Internationale qui repose sur la liberté et l'indépendance assurée à chaque nation - que les socialistes français et les socialistes allemands poursuivent avec un vigueur croissante les luttes contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l'entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples".
      Ces appels furent voués à l'échec : les armées allemandes déferlèrent sur notre sol en 1870 et en 1914. Puis les pacifistes reprirent leur lutte et, de pactes en pactes, virent s'organiser la sécurité collective. Mais avaient surgi Mussolini et Hitler et leurs guerres de conquêtes. A moins de fermer les yeux à la réalité ou d'accepter l'asservissement de la France, à qui nos pacifistes auraient-ils pu adresser leur appel en 1939 ? En Allemagne les opposants à la machine de guerre d'Hitler - ou avaient fui - ou avaient été massacrés - ou étaient écrasés par la terreur.

Souvarine se réveille et tombe des nues.

     "Le pacte germano-soviétique venait d'être signé le 23 août. Souvarine, après avoir créé en 1920 le "Bulletin communiste - après avoir été l'année suivante un des délégués au troisième Congrès de l'Internationale communiste - était devenu le censeur le plus avisé et le plus acerbe de la politique du Kremlin.
      Dans la "
Critique sociale" qu'il dirigeait, Souvarine, après la déportation de Riazanov, écrivait : "Par cet exploit barbare, la dictature a peut-être porté un coup mortel à un grand serviteur désintéressé du prolétariat et du communisme... Mais du moins aura-t-il en même temps dissipé la dernière apparence susceptible de faire illusion à l'extérieur et avoué, révélant sa vraie nature, l'incompatibilité absolue entre le bolchévisme post-léninien (sic, NDLR) et le marxisme (re-sic, NDLR)". Pour lui, l'U.R.S.S. était devenue "une sorte d'Etat fasciste totalitaire". La rectitude de ce jugement n'était-elle pas établie par cette alliance militaire qui venait d'être conclue entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique - entre Hitler et Staline ?
     [...] Le pacte germano-soviétique n'était-il pas, hélas ! la conséquence inéluctable de l'accord de Munich et des réticences ultérieures de la France et de l'Angleterre à accepter les avances de Staline ?
     Modeste auditeur, je me suis borné à écouter les deux thèses. Les évènements historiques ne peuvent être appréciés à leur exacte valeur que longtemps après. La monstruosité de l'attaque conjointe de l'Allemagne et de la Russie contre la Pologne ne doit être aujourd'hui jugée qu'en fonction de l'attitude antérieure des Alliés - et des opérations militaires ultérieures dont le tournant fut l'héroïque victoire de Stalingrad.

39-40 : pas d'histoires !

     "[...] Notre capitaine nous faisait une entière confiance sachant qu'il pouvait compter sur nous. Il vient un jour sur place examiner nos travaux et aperçoit, au saillant d'un des boyaux, un soldat du régiment de forteresse faisant le guet derrière une mitrailleuse. Notre capitaine accourt et lui demande : "S'il passe un avion, que faites-vous ?" - "Je tire" - "Comment ! s'exclame l'officier interloqué, "Vous tirez ? Vous allez nous faire avoir des histoires !"
     Notre capitaine, directeur d'une école communale de la ville de Paris, avait été décoré de la Légion d'honneur pour son attitude courageuse durant la guerre de 14. N'avait-il pas été sensibilisé à l'extrême par les affres du précédent conflit ? [...] Il m'a été rapporté qu'en juin 40, quand un officier allemand avait bondi sur lui et lui avait arraché son révolver, mon bon capitaine s'était écrié : "
Attention, il est chargé".
 
Bien avant l'islamo-gauchisme

    Le livret militaire et le livret de régiment de Burcard Lévy précisent tous deux, au chapitre "marques particulières" : culte israélite. J'ai retrouvé aussi la Ketouba (certificat de mariage religieux) indiquant que mon grand-père a épousé Gabrielle Bernheim le 30 janvier 1879 au Temple de la rue Notre-Dame de Nazareth à Paris.
     Dans ma famille, avant la guerre, on n'avait jamais évoqué devant moi les questions religieuses. On n'attachait apparemment aucune importance au fait que mes quatre grands-parents aient été juifs. On parlait cependant, en riant, de l'oncle Isidore qui, à son arrivée d'Alsace avait trouvé excellent un rôti de porc préparé par ma grand-mère et avait dit : "
Je n'ai jamais mangé un morceau de veau aussi bon".
     J'ai été élevé dans le culte des églises romanes et de la musique de Bach. De dix à quinze ans, quand j'étais en vacances dans le Sidobre, j'ai suivi avec ponctualité les offices du culte protestant. J'avais pénétré une seule fois dans la synagogue toutes proche de mon domicile à Neully-sur-Seine, et en était ressorti presque aussitôt.
     C'est donc avec une surprise indignée que j'ai assisté à la flambée de l'antisémitisme après 1933 et à son déferlement sur l'Allemagne nazie. Je n'avais pas vécu l'affaire Dreyfus et je n'étais pas à même de comprendre la haine insensée qui animait certains. Pour moi, le problème se limitait à quelques questions très simples qui se posaient tant à un juif qu'à un auvergnat : Dieu existe-t-il - et, dans ce cas, doit-on respecter les préceptes de la religion ? Si une spécificité existe, doit-on encourager les vertus de la tradition ?
     Mais les droits et devoirs des citoyens français doivent être identiques au sein d'une république "
une et indivisible". 
 
Caricature

     Comme je m'étais montré habile dans mes fonctions de cantinier, je fus chargé de diriger le mess d'une autre Compagnie. Sa difficulté de gestion avait pour cause la présence d'un abbé atteint de boulimie. Je le plaçai à table près de moi pour mieux le surveiller car il prenait, à lui seul, quatre portions de viande. Un dimanche, à ma grande surprise, l'appétit semblait lui manquer. L'abbé m'expliqua : "J'en suis à mon troisième déjeuner ; j'ai déjà pris deux repas chez les paroissiens".

     Pour le Blitzkrieg et la captivité, je vous laisse compulser l’œuvre intégrale (si elle est trouvable...).

     Sur ce thème, voir aussi La dose de Wrobly de thermidor 2019 EC, avec la fiche du passionnant mais plus ardu livre La France et l'Allemagne (1932-1936), même si les périodes ne se recouvrent pas totalement. 


- David Berry. Le Mouvement anarchiste en France 1917-1945.
     La période circonscrite par cette monographie, en revanche, recouvre dans son intégralité la période du témoignage précédent. Nous allons donc enfin savoir ce qu'on fait les anarchistes français (espagnols, on sait un petit peu) pendant cette période terrible, désemparante et désespérante, où tout changea de pôle et d'épaules. Le pavé de 452 pages, étude historique basée sur le travail universitaire de l'auteur, britannique, doit, contrairement à la Nasse, se trouver facilement, datant de 2019.
   Troublante sychronicité, on y croise à plusieurs reprises Boris Souvarine (voir fiche supra), ce socialiste révolutionnaire qui soutint (dès le départ avec une critique anti-autoritaire cependant) les bolcheviques en 17 et après, mais qui fut exclut de l'Internationale communiste et du PCF des 1924. Il n'avait pas d'antipathie pour les anarchistes ("je n'ai point de mépris des anarchistes ; mais j'ai le dégoût des politiciens, quels qu'ils soient, et surtout de ceux qui revêtent le masque socialiste" - Ce qu'il faut dire, 17 novembre, 1917 auquel il collabora). Rappelons que Souvarine a été très lié, pour le meilleur et pour le pire, à un des écrivains fétiches de la Plèbe (non, pas le journal anarchiste qui parut du 13 avril au 4 mai 1918), Georges Bataille, qui lui piqua sa maîtresse.
   Ce qu'il faut dire (avril 1916 - décembre1917) regroupa en 1918 des libertaires enthousiasmés par la Révolution russe, allant parfois jusqu'à penser naïvement que les bolcheviks allaient défendre (parfois justifiant même la dictature du prolétariat) les acquis de l'insurrection populaire spontanée du peuple, même s'ils étaient avant tout évidemment partisans des soviets libres. C'est ce courant qu'on nomma "ultra-gauche" à l'époque, ou "soviétiste" (conseilliste). Le saviez-vous ? Le premier Parti communiste français a été créé par des anarchistes en mai-juin 2019 (mort en mars 1921), issus de ce courant, PC qui scissionna avec la Fédération communiste des soviets (décembre 2019 - mai 1921). Le PC qu'on connaît, section française de l'Internationale communiste, celui des futurs staliniens, étant, pour sa part, né en décembre 1920, scission de la SFIO (socialistes marxistes parlementaristes, le PS d'alors).
     Une ènième histoire de l'anarchisme me faisait un peu peur, j'appréhendais le rabâchage de ce que je connais, mais non, cette période est très peu étudiée. Ce bouquin est passionnant. Et c'est la famille, aussi foutraque, bordélique et querelleuse qu'elle puisse être.
 


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