vendredi 1 septembre 2017

Y a qu'là qu'on est bien

À droite de mon banc s’ouvrait précisément un trou, large, à même le trottoir dans le genre du métro de chez nous. Ce trou me parut propice, vaste qu’il était, avec un escalier dedans tout en marbre rose. J’avais déjà vu bien des gens de la rue y disparaître et puis en ressortir. C’était dans ce souterrain qu’ils allaient faire leurs besoins. Je fus immédiatement fixé. En marbre aussi la salle où se passait la chose. Une espèce de piscine, mais alors vidée de toute son eau, une piscine infecte, remplie seulement d’un jour filtré, mourant, qui venait finir là sur les hommes déboutonnés au milieu de leurs odeurs et bien cramoisis à pousser leurs sales affaires devant tout le monde, avec des bruits barbares.

Entre hommes, comme ça, sans façons, aux rires de tous ceux qui étaient autour, accompagnés des encouragements qu’ils se donnaient comme au football. On enlevait son veston d’abord, en arrivant, comme pour effectuer un exercice de force. On se mettait en tenue en somme, c’était le rite.

Et puis bien débraillés, rotant et pire, gesticulant comme au préau des fous, ils s’installaient dans la caverne fécale. Les nouveaux arrivants devaient répondre à mille plaisanteries dégueulasses pendant qu’ils descendaient les gradins de la rue ; mais ils paraissaient tous enchantés quand même.


Autant là-haut sur le trottoir ils se tenaient bien les hommes et strictement, tristement même, autant la perspective d’avoir à se vider les tripes en compagnie tumultueuse paraissait les libérer et les réjouir intimement.

Les portes des cabinets largement maculées pendaient, arrachées à leurs gonds. On passait de l’une à l’autre cellule pour bavarder un brin, ceux qui attendaient un siège vide fumaient des cigares lourds en tapant sur l’épaule de l’occupant en travail, lui, obstiné, la tête crispée, enfermée dans ses mains. Beaucoup en geignaient fort comme les blessés et les parturientes. On menaçait les constipés de tortures ingénieuses.

Quand un giclement d’eau annonçait une vacance, des clameurs redoublaient autour de l’alvéole libre, dont on jouait alors souvent la possession à pile ou face. Les journaux sitôt lus, bien qu’épais comme de petits coussins, se trouvaient dissous instantanément par la meute de ces travailleurs rectaux. On discernait mal les figures à cause de la fumée. Je n’osais pas trop avancer vers eux à cause de leurs odeurs.


Ce contraste était bien fait pour déconcerter un étranger. Tout ce débraillage intime, cette formidable familiarité intestinale et dans la rue cette parfaite contrainte ! J’en demeurais étourdi.

Je remontai au jour par les mêmes marches pour me reposer sur le même banc. Débauche soudaine de digestions et de vulgarité. Découverte du communisme joyeux du caca. Je laissais chacun de leur côté les aspects si déconcertants de la même aventure. Je n’avais pas la force de les analyser ni d’en effectuer la synthèse. C’est dormir que je désirais impérieusement. Délicieuse et rare frénésie !

Louis-Ferdinand Céline.- Voyage au bout de la nuit.



Rien à voir, si ce n'est que c'est une vraie merde, si vous voulez avoir un microscopique sentiment d'oeuvrer, vous aussi, tout en préservant votre pied de la bouillie, vous pouvez-toujours écrire aux copains blessés, ou signer.

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