vendredi 4 février 2022

Le flamenco de Paris


   Harpe et guitare avaient connu leur période de vogue comme instrument accompagnateur de la romance. La guitare fut en fait très à la mode sous le Directoire ; l'imagination des facteurs se déchaîna alors au point que la Revue musicale note en 1828 : "de tous les instruments celui qui a éprouvé le plus de révolutions depuis ving ans".
   Son répertoire évolue alors : "Autrefois la guitare était regardée comme un instrument de simple accompagnement, très favorable aux personnes qui chantent avec plus de goût que de force d'organe. Nos virtuoses modernes [...] ont voulu changer la destination modeste de cet instrument et l'assimiler à la harpe dans des concertos et variations très difficiles". Au début du siècle il est vrai que la guitare a vu naître déjà de brillants virtuoses [...] ; Paganini fut aussi un excellent guitariste et transposa les effets de cet instrument au violon ; Berlioz, qui en joua également, la fait figurer dans son Traité, tout en déplorant qu'elle soit devenue de plus en plus rare.

"un instrument de simple accompagnement, très favorable aux personnes qui chantent avec plus de goût que de force d'organe."

   Méthodes et journaux (Le Troubadour ambulant, par exemple) cessent en fait bientôt de paraître ; quelques guitaristes isolés, souvent étrangers, continuent seuls à se produire [...] ; mais l'instrument tombe peu à peu dans l'oubli comme le montre cette remarque datée de 1864 : "l'une des dernières soirées de notre excellent professeur Marmontel, au milieu des vibrations triomphantes du piano, s'est tout à coup montré comme une apparition la guitare ! La guitare oubliée, délaissée, douce victime de l'injustice des hommes" (1). A la fin du XIXème siècle, les musiciens ne possédaient plus d'elle qu'une image compassée et bien fausse, comme en témoigne, en argot des gens de lettres, l'utilisation des termes guitare pour désigner une rengaine et guitariste pour rabâcheur (2).

(1) Le Ménestrel du 28 février 1864, p. 102.
(2) E. GOUGET, L'Argot musical, Paris, Fischbacher, 1892 ; cet auteur explique ainsi l'emploi argotique du mot guitare : "Allusion aux ressources bornées de la guitare qui la condamnent à de perpétuelles redites quand elle n'est pas maniée par Huerta".

"ressources bornées de la guitare qui la condamnent à de perpétuelles redites"

   Mode entretenue par le Romantisme, typée chez Mérimée par exemple, accusée par le grand nombre de traductions de Lope de Vega ou de Calderon nées sous le Second Empire ainsi que par les recueils de chansons populaires (P. Lacôme d'Estalenx, Echos d'Espagne - Ed. Moullé, 33 Chants populaires d'Espagne - S. Yradier, Fleurs d'Espagne), mode favorisée par les relations politiques actives avec ce pays voisin, l'hispanisme a laissé de multiples empreintes sur la musique française, que ce soit chez Bizet (Carmen, 1875), Chabrier (Espana, 1883), Ravel (Habanera, 1895). Cette influence permit aussi à la France de ne pas laisser mourir complètement la guitare en cette fin de siècle.

Extraits de Danièle Pistone.- La Musique en France de la Révolution à 1900.

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