vendredi 9 octobre 2015

Vers une gastronomie hétérodoxe

« Si les Asmats sont des adorateurs du sperme, c’est parce qu’il a le même goût que la cervelle humaine. »
Jean-Pierre Dutilleux

C'est par la littérature, une fois n'est pas coutume, que j'ai nimbé le végétalisme d'attraits et de mystère. Plus précisément la lecture de Brouillard au pont de Tolbiac, de Léo Malet (et plus tard l'adaptation BD de Tardi). A un moment, l'enquête mène Nestor Burma (il me semble, je l'ai lu plusieurs fois, mais c'était entre 18 et 28 ans, ça commence à dater) au "foyer végétalien", où il y avait des anarchistes, avec un sulfureux parfum de bande à Bonnot et d'"en-dehors". C'était la mouise, la dèche, ambiance de série noire avant l'heure, ça donnait froid, pas dans le dos, mais aux pieds et au bout des doigts. Des anars et des végétaliens, il ne m'en fallait pourtant pas plus pour me faire rêver. Par la suite, à la recherche d'émotions et de rencontres qui n'ont finalement tourné qu'autour de l'éthylisme, j'ai arpenté Paris en tous coins, j'ai fait mes dérives urbaines comme d'autres avaient fait leurs classes, inspiré par la lecture de l'intégrale de l'I.S. (merci à Jacques qui me prêta ces exemplaires noirs de goudron et à l'odeur de jus de chique, ce qui ne leur donnait que plus de charme), en suivant des itinéraires aléatoirement planifiés sur la base des Nouveaux mystères de Paris, par arrondissement. A chaque étape je buvais un verre au troquet, comme Nestor, et je finissais toujours dans l'un d'eux d'où je ne décollais plus jusqu'à ce que mon état fut complètement avancé.


Pour en revenir au végétalisme, j'avais bien sûr depuis l'enfance une sympathie naturelle pour mes frères et sœurs animaux et leur regard si profond, si doux, si intelligent, si sensible, et j'ai toujours désapprouvé la torture, les camps de concentration, l'enfermement, le meurtre et l'extermination. Mais quoi, un biftèque dans une assiette, ça n'a rien à voir avec un animal, c'est de la viande.

L'amitié, oui, la ferme des 1000 vaches, non !

Peut-être réveillerai-je le végéphobe qui sommeille en chacun de nous. En effet, à l'instar du musulman, le végétar/lien provoque souvent des réactions d'intolérance épidermique. La comparaison s'arrêtera là, le musulman mange du mouton. Mais les images phobiques peuvent parfois se rejoindre, et faire vibrer, qui sait, les mêmes peurs ancestrales enfouies dans notre inconscient collectif. Par exemple :

- la barbe : le végétarien est souvent représenté avec une barbe fournie dans les comédies pré-cyniques et proto-beaufs avec Christian Clavier. Souvent, des morceaux de nourriture se mèlent à sa barbe : laitue, tofu (ah ! le tofu ! quelle rigolade ! j'en ris encore!), bette ou brocoli, lentille ou grain de riz, à moins qu'il ne s'agisse de jus de fraise. La barbe, le système pileux, à l'heure où, des lycéennes jusqu'aux cougars, la vulve de fillette est de rigueur si on veut éviter les hauts le coeur ; à l'heure où même les forts des Halles s'épilent sous les bras ! Vagin denté ou verge paternelle punitive, cette jungle pileuse menaçante rasée sur la terre comme au menton par une espèce dégénérée, cette noire broussaille castratrice, c'est le loup des contes de fées, l'ogre au couteau entre les dents pour le musulman ; le tendre orang-outang ou le puissant gorille trop câlin à la Brassens, pour le végétarien ;

- l'ayatollah : aujourd'hui, dès qu'une personne souhaite mettre en adéquation, si modestement que ce soit, sa sensibilité, ou ses valeurs avec sa vie, sa praxis, qu'elle décide de vivre avec un peu d'intensité, c'est un ayatollah (encore la barbe ; exit les coups de mentons glabres de Mussolini, ou les moustaches de styles variés à la Hitler, Staline ou Pinochet : la phobie pileuse progresse) ;

- on va m'empêcher de manger mon biftèque / mon boudin : je ne nie pas qu'il y ait des enthousiasmes intolérants chez certains anti-spécistes. Cela dit j'avais lu un argument anti-anti-spéciste un peu spécieux dans un magazine libertaire. De mémoire et à la louche : « les végés veulent nous interdire notre plaisir, et c'est inadmissible, parce qu'il est question de plaisir, une de nos valeurs cardinales ». Mais Marc Dutroux aurait très bien pu utiliser cet argument dans sa partie, ou Netanyahu dans la sienne. Evidemment je ne mets pas sur le même plan des enfants humains, ou palestiniens, et des animaux, je pense qu'on doit malgré tout garder un sentiment de préférence pour sa propre espèce, mais est-ce que ça autorise, juste pour le plaisir, les atrocités sur les autres ?

- l'ascète (en contrepoint du puissant gorille), les interdis alimentaires, la tristesse, la peine à jouir : mais les végétariens ont au contraire l'opportunité de re-découvrir une variété alimentaire immense, que l'imposition économique et politique de la norme du tout bidoche à réduit au morceau de chair sanguinolente sous cellophane (ou à ses substituts ovariens ou laitiers) : pour ne pas être carencé, il faut manger de tout, et pour que ce soit fun, retrouver tous les légumes, céréales, fruits, légumineux oubliés ou quasi étouffés sous le boisseau agro-industriel et le brevetage du vivant ; et mille manières d'apprêter tout ça, avec curiosité et imagination. Je crois, je suis même certain, bien sûr dans la limite des nécessités d'un quotidien soumis à la routine du travail ou à la misère des minimas sociaux dans le meilleur des cas, que le végé est un hédoniste (voyez les lotophages de l'Odyssée) ;

- le terroriste : pour ça, voyez L'Armée des 12 singes de Terry Gilliam, excellent, comme tout ce que fait Terry Gilliam d'ailleurs.



Cela dit, je ne suis pas végétalien. Ni même végétarien. J'essaye au quotidien de suivre un régime végétalien. Mais quand c'est trop compliqué socialement (invitations, restaurants, sandwichs, petits extras renforçant l'intimité du cercle familial), et ajouté à la tentation liée à une vie omnivore depuis l'enfance, je consomme. Je ne suis pas un pur dans ce domaine et il m'arrive même de dévorer, avec concupiscence et une contrition plus que légère et transitoire, des grecs, en me foutant du jus et de la moutarde plein le nez, les joues et le menton, la moitié du visage luisant comme au bon vieux temps des fougueux cunnilingus, il faudrait que je m'y remette, ce serait moins cruel et meilleur pour la santé. Mais vous savez ce que c'est, passé un certain âge on finit par se dire que y a pas photo, la bouffe c'est meilleur que la baise, surtout quand on mange plus tard que l'heure habituelle. Ce n'est pas le mieux que je puisse faire, j'en ai l'intuition.


Cependant, comme je m'intéresse (littérairement, éthiquement et par sensibilité, donc) au végétalisme, plutôt que d'être dans le moins, dans une perspective de perte, de deuil, de sevrage, d'interdit, je me place dans une vision hédoniste, et je fais des recettes. C'est pourquoi je vous propose pour ce mois d'octobre :

Le goût du petit pain d'épices à l'orange et aux amandes

Cuisson : 45 à 50 mn

Ingrédients :
- 125 g de farine de blé
- 125 g de farine de seigle
- 150 g de sucre roux
- 4 CS de sirop d'orange
- 1 CS d'anis vert moulu
- 1 CS bombée de bicarbonate de soude
- 1 CS rase de canelle
- 1 pincée de mélange "'4 épices"
- 240 ml de lait végétal (ici lait d'avoine)
- 2 CS de lamelles d'orange confite, coupées en petits morceaux
- 40 gr d'amandes, coupées chacune en trois.

J'avoue que je le préférais à ce stade... J'aurais dû me le taper à la cuiller à soupe.

Préparation :
Préchauffer le four th° 5/6 (env. 180 °) Mélanger les épices, le sucre, les farines et le bicarbonate ensemble. Ajouter le lait végétal et le sirop d'orange. Bien mélanger. Enfin, donner un dernier tour de cuiller en ajoutant morceaux d'oranges confites et amandes.
Mettre du papier sulfurisé dans un moule à cake (ou bien margariner le moule) et cuire 45 /50 mn, la pointe d'un couteau devant ressortir propre du pain d'épice.


La prochaine fois : crumble aux pommes.

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