Pendant quatorze ans, le réalisateur, Gabriel Axel, s'est battu pour faire accepter le scénario par l'Institut danois du cinéma, dont un représentant lui avait répondu qu'il n'y avait "pas une minute de film dans cette merde". Cette lutte acharnée a abouti à un film magnifique. Même si l'action est quasi nulle, on suit les péripéties du fil qui nous mènera à l'apothéose finale avec un intérêt amusé, parfois irrité face au puritanisme stupide de cette petite communauté patriarcale, dont les individus sont malgré tout attachants quand ils ne nous inspirent pas la colère ou la pitié de tant de vies gâchées dans les bondieuseries tristes et mornes. Leur vie réglée va être perturbée par deux embryons d'histoires d'amour avortées, et un début de vocation artistique. Mais le maître veille, et l'endoctrinement sera le plus fort. Jusqu'à ce que la force, la beauté apparaisse, nimbée de dignité, de courage, de douleur, de gratitude, et d'humilité face aux modestes soeurs qui l'accueillent, elle qui, on le saura à la fin, est une grande artiste, dans la personne de l'ancienne communarde Babette (superbe Stéphane Audran), dont le mari et le fils ont été assassinés par le boucher Gallifet et ses commanditaires.
J'ai lu quelque part que c'était un film sur la sensualité. Oui, aussi, d'ailleurs la bande son de la scène du festin aurait heureusement pur servir d'énigme à certaine émission, à l'image de celle de La Grande bouffe ou du Grand restaurant. Mais surtout sur l'art je trouve, sur l'art qui nous transcende, et nous rend heureux lorsque nous passons de l'état de créatures à celui de créateurs comme disait Stirner (si mes souvenirs de lectures adolescentes passionnées sont bons). Le problème et le paradoxe, c'est que l'art, cet art auprès duquel les quelques consolations que paraissent donner la religion ou le mysticisme sont du caca de cochon d'Inde, devrait être le lot de tous, et quelque part, c'est ce que voulaient, peut-être sans le savoir vraiment, les communards : faire de la vie un art pour tous, et des arts de toutes les activités de vie. Chacun selon les passions qui l'habitent, comme disait Fourier (si mes souvenirs..., etc.). Le hic, c'est que dans le monde victorieux des versaillais d'hier et d'aujourd'hui, l'art est le privilège des dominants qui en jouissent quand ils le peuvent, qui l'interdisent quand il risque de menacer leur pouvoir. Ainsi de la fille du pasteur, tellement endoctrinée qu'elle renonce elle même à se consacrer au chant pour lequel elle a du génie et qui l'aurait rendu heureuse, ayant intériorisé la loi du patriarche menacé. Ainsi Babette qui, au sommet de son art culinaire, régalait les sabreurs et autres bourgeois qui tueront tous ceux qu'elle aime, dans le grand restaurant de l'Empire où elle travaillait.
Je pense que ce film aurait provoqué l'apoplexie du poussah chef cuisiner interrogé par Bernard Pivot à la télé, séquence que l'on peut voir dans le film Maso et miso vont en bateau (1976) dont j'avais posté un court extrait ici, et qui déclare qu'une femme ne peut absolument pas être chef cuisinier, elle ne serait ni assez forte, ni assez talentueuse, elle n'est bonne qu'à la popote du mari (je résume), sans que Françoise Giroud ne lui saute à la gorge et ne lui arrache les yeux. C'est là qu'on voit que les choses ont un tout petit peu changé malgré tout. De tels propos aujourd'hui dans les médias, qu'un Zemmour pourrait tenir, je ne dis pas le contraire, provoqueraient je pense des réactions du public ou des invités beaucoup plus hostiles qu'à l'époque. Enfin, je crois, je ne regarde pas la télé. Je me trompe ? Vous croyez ? En tout cas je pense qu'ils passeraient pour une provocation haineuse, et non comme la naïve honnêteté de ce détestable bon gros débonnaire semblant croire de bonne foi à ses phobies.
Bref, Babette : Ma dernière resucée ciné, puisque j'avais déjà vu ce film une fois.
Je pense que ce film aurait provoqué l'apoplexie du poussah chef cuisiner interrogé par Bernard Pivot à la télé, séquence que l'on peut voir dans le film Maso et miso vont en bateau (1976) dont j'avais posté un court extrait ici, et qui déclare qu'une femme ne peut absolument pas être chef cuisinier, elle ne serait ni assez forte, ni assez talentueuse, elle n'est bonne qu'à la popote du mari (je résume), sans que Françoise Giroud ne lui saute à la gorge et ne lui arrache les yeux. C'est là qu'on voit que les choses ont un tout petit peu changé malgré tout. De tels propos aujourd'hui dans les médias, qu'un Zemmour pourrait tenir, je ne dis pas le contraire, provoqueraient je pense des réactions du public ou des invités beaucoup plus hostiles qu'à l'époque. Enfin, je crois, je ne regarde pas la télé. Je me trompe ? Vous croyez ? En tout cas je pense qu'ils passeraient pour une provocation haineuse, et non comme la naïve honnêteté de ce détestable bon gros débonnaire semblant croire de bonne foi à ses phobies.
Bref, Babette : Ma dernière resucée ciné, puisque j'avais déjà vu ce film une fois.
Il m'arrive tous les dix ans de refaire "sa tête de veau en tortue" !
RépondreSupprimerJ'avais acheté le film en vidéo, après l'avoir vu en salle (grandiose!), pour recopier la recette.
J'aime particulièrement la cuisine de cette époque 1870-1910, celle d'Escoffier parmi d'autres !
Que de talents chez les commentateurs de ce modeste blog ! Vous me surprendrez toujours ! Même si j'essaye de limiter ma consommation de viande, j'aimerais bien être là le jour où vous récidivez, pour connaître l'extase des protagonistes du film... J'ai peut-être tort, et le tort tue, je le sais bien, mais voilà, je pense que je le vaux, je m'entête.
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