Apparemment y a plus de migrants... Enfin je ne sais pas, je ne regarde pas la télévision, ni la radio ou l'internet dominant, mais il me semble que, comme les drogués, cette catégorie de personnes souffrantes qui défraya la chronique entre haine et compassion ont disparu des gazettes et autres médias. Pourtant, plusieurs dizaines de migrants sont morts noyés mercredi en huit, dont beaucoup de très jeunes enfants, après être tombés d’une embarcation surchargée au large de la Libye où la tension monte entre humanitaires et garde-côtes libyens. Mais il faut croire que le spectacle doit se renouveler, pour que le show goes on, et il faudra peut-être attendre, après le gros morceau des présidentielles, que le festival de Cannes, Roland-Garros et les législatives soient passés pour qu'on en entende reparler.
A la Plèbe, par contre, on lâche pas le morceau. Alors on va vous parler d'Ali. Ali est un jeune syrien ayant fuit la guerre et les persécutions. Son périple dans la Méditerranée en quête d'un port pour poser son lourd bagage est digne des plus rocambolesques romans d'aventure, n'était la souffrance, la peur et la mort qui, dans son cas, n'étaient pas une combinaison d'images crées par l'imagination et de caractères d'imprimerie noircissant une page blanche. Il a bien voulu nous raconter son périple de saute frontière damné de la terre, d'éternel Caïn des mers rejeté sans cesse de rive en rive, loin de l'hospitalité et de la possibilité de trouver un bout de terre, un terrain, un lieu, une maison, une autonomie, des liens d'amitié.
Voici, en résumé, les différentes étapes qu'il a suivies, à partir de son premier appareillage en Méditerranée, depuis les côtes de Turquie.
1- Il est donc parti de Turquie, embarquant dans une coque de noix surpeuplée au sud du détroit des Dardanelles, espérant rejoindre une petite île de la mer ionienne ou des membres de sa famille, partis avant lui, l'attendaient. L'embarcation est parvenue à doubler le cap Malée, extrême pointe du Péloponnèse sans trop d'encombres, malgré les affres que vous imaginez. Mais là, un vent de tempête les entraîne, les détournant de leur erre, à l'ouest, vers l'inconnu, bien au delà du golfe de Corinthe et de la mer ionienne...
2- Paf ! Le voilà jeté à Djerba, au sud-est de la Tunisie. Il y rencontre des mangeurs d'all inclusive, prolos + sans conscience des pays riches venant oublier leurs humiliations de 11 mois en se gavant au soleil dans les anciennes colonies ou autres pays sous tutelle de la finance internationale qui les presse de s'intégrer dans l'Economie en étranglant leurs populations. Mais c'est moins cher. Ali y bosse pour survivre quelque mois comme soutier à la plonge, au ménage et comme serveur.
Djerba
3- Prêt pour un autre départ, il embarque sur un nouveau bateau de type gonflable.
Débarquement en catastrophe dans un pays de volcan : les Champs Phlégréens, sur le golfe de Pouzzoles (Golfo di Pozzuoli), sur la façade nord-ouest de la baie de Naples. Il y travaille comme saisonnier sous l’œil d'une police vexatoire et d'une mafia avide et brutale.
Vue sur la baie de Naples. Une Margherita offerte à qui découvrira l'origine de cette photo.
4- Nouveau départ sur un petit bateau de pêche moyennant finances. Le capitaine se jugeant sous-payé en cours de route, les dépose à Stromboli, dans l'archipel des Lipari. Rien de notable ne lui arrive sinon un vent violent tout le long de son court séjour sur cette île.
Une des îles éoliennes, ou Lipari.
5- Il repart sur un grand voilier de plaisance sur lequel il a réussi à se faire embaucher comme homme de peine.
Direction la Sardaigne, Porto Pozzo, sur la côte des bouches de Bonifacio, où il échappe de peu à une ratonnade par une équipe de joueurs de rugby éméchés en villégiature.
6- Il s'échappe, seul, sur le canot de sauvetage du voilier de ses employeurs, avec lequel il parvient à retourner en Italie, à mi chemin du golfe de Naples et de l'embouchure du Tibre, au bord de la mer Tyrrhénienne, au sud du Latium, exactement au pied du mont Circé. Il vivra ici une orageuse histoire d'amour avec une éleveuse du cru envoûtante et dominatrice, qui l'aima d'un amour possessif et ardent. Un jour qu'il était parti marcher pour faire le point dans sa tête, il s'est endormi près du lac Averne, sur cette même baie de Naples, et il rêva que tous ses compagnons de voyages morts noyés étaient là, et lui reprochaient de ne pas rejoindre les siens.
Le lac Averne
7- Il prend donc congé de son hôtesse et embarque dans un chalutier à la pêche à la sardine au large de la presqu'île de Sorrente.
8- Pris dans une tempête, décidément, le bateau manque de s'écraser sur un récif juste avant d'échapper de peu à un tourbillon géant, de part et d'autre du détroit de Messine.
9- Jeté en Sicile, il y passe trois mois à se faire dorer au soleil, vivant d'expédients. Puis il repart encore, sur un esquif, espérant en voyant s'éloigner les deux amers du détroit séparant Vulcano de Lipari, dans les îles éoliennes de nouveau, que cette fois il pourra se rapprocher de sa famille en mer ionienne.
10- Ce n'est évidemment pas ce qui s'est passé. Dans le but de fuir des garde-côtes, il met cap à l'ouest, à l'opposé de sa destination. Le moteur tombe en panne, les courants l'emportent... sur le bord africain du détroit de Gibraltar ! Il vit dans des campements plusieurs mois encore au pied du mont Atlas. Là encore il connait une idylle torride et clandestine avec une veuve. La femme voulait le garder, il devait partir. Re-départ naval.
Là, pour rester dans nos habitudes de lecture de carte, je ferais faire un quart de tour horaire à celle-ci.
11- C'est presque la fin de son parcours du combattant, finalement tout sourit à la nouvelle embarcation, vents, courants, absence d'avarie. En quelques jours il accoste à Corfou ! La chance s'y trouve encore, loi des séries, il rencontre des membres d'une association d'aide aux migrants qui prennent soin de lui et lui permettent de se reposer et de reprendre des forces sur cette île que plus d'un assujetti social comme moi rêverait de fréquenter quelques semaines.
Corfou
12- Grâce à ces nouveaux amis, il peut rembarquer en sécurité et se diriger au sud, vers la petite île de Zanthe, ou il retrouvera sa femme, son fils et d'autres proches qui, en l'attente imminente du statut de réfugié, et encore grâce à l'aide d'associatifs de l'hospitalité, participent à une coopérative textile bio à base de laine de caprin. Ici se termine son périple. Jusqu'à quand ? Tout ce que je lui souhaite, c'est de ne pas venir au pays des macrons. Un caprin oui, un macron non !
Enfin Zanthe, fin du voyage...
Conclusion : les migrants sont des héros, et nous devrions les accueillir comme tels, les bras ouverts.
Mais, au fait, en rédigeant ce périple de damné de la terre, le nom du voyageur malgré lui a été changé, ainsi que quelques détails de son épopée. Sauras-tu corriger tout cela ? Allez ! Un indice quand même : il ne s'agit pas de Panaït Istrati.
Ben, il s'agit de l'itinéraire le plus communément admis pour l'Odyssée du père Ulysse racontée par Homère.
RépondreSupprimerIl y a bien eu un temps une variante Atlantique Nord défendue par Alain Bombard et allant jusqu'aux Orcades et Hébrides mais, elle a été plus ou moins abandonnée.
Bravo Jules, sacrée érudition, c'est bien ça. C'est vrai que l'Atlantique nord, ça semble un peu loin d'Ithaque et de Troie... Bombard a peut-être confondu avec Nansen ou Amundsen. Parfois une trop longue solitude peut créer de la confusion (avec tout le respect que je dois à ce monsieur que je connais peu).
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé les Lestrrygons en rugbymen, malgré mon vieux sentiment pour ce sport et les Lotophages en bouffeurs de forfaits.
RépondreSupprimerMerci :-) Vu la longueur du truc et que je fais ça sur mes heures de chagrin j'ai été vite, mais quelques bonnes idées me sont descendues, gloire en soit rendue à Athéna aux yeux pers !
RépondreSupprimerMoi, quand je veux faire "l'aurore aux doigts de rose", je gonfle des gants de vaisselle.
RépondreSupprimerQuelle magnifique allégorie, Tenancier, on y est, on entend les premiers oiseaux chanter rien qu'à imaginer ce latex rouge pâle turgescent ! Quant à çui-là qui dira le contraire, comme dirait Achille, Chant 9, vers 375-376 : "Assez. Qu'il aille se faire voir ailleurs"... Où ça ? Je n'en sais rien, à lui de choisir la destination.
RépondreSupprimerAh mon cher, si vous saviez l'effort que ça me coûte, l'allégorie ! Ça confine à la migraine carabinée. Heureusement, j'ai toujours du paracetamou (la pharmacopée hellène y'a que ça de vrai...)
RépondreSupprimerAutrement, je dis ça, je dis rien : mais est-ce d'après la reconstitution de Bérard ? J'avais survolé cela il y a longtemps.
RépondreSupprimerIl me semble, oui, mais il faut que j'aille vérifier dans mon vieux Poche de l'Odyssée, à ma maison. C'était dans la préface. J'essaierai d'y penser ce soir.
RépondreSupprimerΚαλημερα !
Si c'est l'édition du Livre de Poche de 1963, la préface est du fiston, Jean Bérard. L'évocation du périple est bien de Victor Bérard. Regrettable que les quatre tomes ne soient pas disponibles. D'occas, ça commence à faire cher...
RépondreSupprimerOui, c'est bien ça, préface de Jean Bérard, qui fait référence à Victor. J'avais gardé une photocopie d'icelle par devers moi pour faire mon articule. On est donc bien dans du Poche 63. Je ne sais plus d'où me vient ce volume, mais je suis bien content de l'avoir trouvé, conservé et lu.
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