vendredi 28 juillet 2017

Balancement mineur

On rencontrait la belle aux Puces, le dimanche :
"Je te plais, tu me plais..." et c'était dans la manche,
Et les grands sentiments n'étaient pas de rigueur.

Georges Brassens.

   Dimanche je suis allé au Puces de St-Ouen avec mon pote Didier (de dos sur la photo). Il est de Clichy, mais quand il était minot, il était toujours fourré dans ces parages pour alimenter sa passion : le jazz manouche. Il a lui même à partir de son adolescence, vécu la bohême en gagnant sa modeste croûte à faire la pompe (pas à bière, la rythmique, en guitare) pour un gratteux hachement plus expérimenté que lui. Ils allaient écumer les terrasses des cafés, jusqu'à la Grande Motte.


   Bon, maintenant, rescapé d'une vie pleine de blessures, il vient d'avoir cinquante piges, il ne touche plus beaucoup à la guitare. Il s'y remet un peu, mais avec son hernie discale cervico-brachiale, il a vite mal aux bras. Un peu comme moi quand je joue du trombone, non, j'déconne, même si c'est vrai que des fois ça me réveille les sensations douloureuses de mes tendinites aux coudes, moi c'est pas aussi grave. Ce qu'il aimerait c'est arrêter de fumer cet été en Normandie avec sa mère et sa soeur, et les patches. C'est pas nouveau. Comme il venait de me dire qu'en m'attendant il s'était acheté de quoi se rouler un joint, je lui ai rappelé qu'après l'arrêt du tabac, si il veut tenir, terminé les joints, ou alors d'herbe pure dans le cas où le cannabis indica lui resterait indispensable, ou bien encore en gâteau, confiture ou infusion, mais la moindre dose de nicotine dans le sang risquerait de relancer la pompe, encore une. Le mieux serait qu'il arrête aussi la résine de chanvre indien, ça le ferait peut-être décoller de sa télé. Il sait tout ça, je sais qu'il sait, mais c'est pour parler, on a pas grand chose à dire, plutôt taiseux l'un comme l'autre. Ce qu'il aimerait aussi après, c'est se retrouver une copine, ras-le-bol de la solitude enfermé dans son appartement après le boulot.


   Ce qu'il y a de bien à Paris en été, c'est qu'il y a moins de bagnoles, on respire mieux, c'est moins bruyant, moins stressant, plus riant. On est donc Porte de Clignancourt. Didier me dit que ça n'a pas changé depuis son enfance, toujours autant de monde. Moi je trouve pourtant qu'on avance mieux qu'au marché de Sarcelles. Ce doit être la saison aussi. J'ai peu de souvenirs des rares fois où je suis venu aux Puces durant mes huit ans de vie Porte de Clichy à la fin du siècle dernier et au tout début de celui-ci, c'était pas trop mon truc, d'autres chats à fouetter.


   De toute façon on reste pas longtemps dans les Puces, on enquille direct la rue des Rosiers. On traverse une terrasse, deux femmes y sont assises. Didier : "Qu'est-ce qu'on fait, on drague ?" J'ai rigolé, sur l'instant je ne me souvenais plus qu'il envisageait une rencontre, et moi, outre le fait que je suis désormais en couple et que je ne me sens absolument plus l'énergie de stimuler un désir depuis quelques temps bien sous le boisseau, je n'ai jamais su draguer, je n'y ai jamais cru, ça n'a jamais marché quand je m'y suis essayé, trop timide, trop coincé, trop honte de moi. Lui, par contre c'était un homme à femmes. Il fonçait, ça lui faisait pas peur. A sa manière bien sûr, et les anecdotes qu'il me raconte de temps en temps et que je finis par connaître sont plus proches d'une série glauque que d'une bluette, d'un grand drame romantique, ou d'une joyeuse collection libertine à la Casanova, et finalement il se retrouve Grosjean, mais au moins il savait ce qu'il voulait et il y allait sans complexes. Je l'ai un peu envié pour ça.


   Pas trop de monde, mais du touriste. Ça cause anglais.


   Allez, pas qu'ça à faire, direction La Chope des Puces ! La Chope des Puces est un petit bistrot pratiquement centenaire aujourd’hui, qui dès sa création fut assidûment fréquenté notamment par des manouches dont les caravanes étaient stationnées en grand nombre à l’emplacement de l’actuel périphérique vers la Porte de Clignancourt, aux abords du Marché.


   Même si aucun document ne l’atteste, il est plus que vraisemblable que le jeune Django Reinhardt qui vivait à proximité, ait fréquenté ce bistrot qui, à l’époque, s’appelait Chez Marcel. La musique a toujours été présente dans ce minuscule bar. On se plait à penser que Django, accompagné par son frère Nin-Nin et quelques amis y ont fait résonner leurs guitares et que ce lieu a été le témoin des premiers pas d’un style musical mondialement connu aujourd’hui sous les vocables de jazz ou swing manouche avec cette french touch si particulière.


   Au cours des années 60, la construction du boulevard périphérique a chassé les manouches, gitans, forains et autres gens du voyage sous d’autre cieux. La Chope des Puces a continué à être leur lieu de rencontre et des musiciens s’y produisaient le samedi, dimanche et lundi. En 2008, après de longue années de labeur, Jeanne, la patronne, décide de se retirer. Marcel Campion, un habitué de longue date des lieux et le plus connu des forains veut à tout prix éviter que cet établissement devenu mythique disparaîsse. Il le reprend donc et l’immeuble dans lequel il se trouve. Il y ouvre un espace dédié à Django Reinhardt. Le bar/restaurant, où résonne encore les guitares de Mondine et Ninine Garcia et de nombreux musiciens passionnés, accueille une école de jazz manouche, une salle de concert, un studio d’enregistrement ainsi qu’un atelier de lutherie dans l’immeuble.


   Comme tous ces gars-là il a sa guitare,une guitare crasseuse qui vous colle le noir. Longtemps j'ai entendu et chantonné : "une guitare crasseuse, qui vous colle les doigts".





   Quand il avait 14 ans, Didier venait squatter sur le trottoir juste derrière la vitre : on entendait tout bien de dehors. En plein hiver il restait là tranquille et se caillant les miches, à écouter ses idoles. Du Dickens, j'allais dire, mais trop british, du Eugène Sue (que je n'ai d'ailleurs jamais lu) ou du Hugo.





   Bon, il n'y avait pas grand monde, et c'est sûr que ça s'est un peu gentrifié depuis l'époque de la jeunesse de Didier. Il a pas fait très beau, on n'est pas resté très longtemps et mes photos sont pourries. Mais c'était sympa de se voir, et puis ça fait une petite sortie. On se refera ça hein ? D'ici là passe de bonnes vacances, bons patches, et à la rentrée, piscine, rando... non ?...


   Un site pour les aficionados

   Et un petit coup de hard core pour finir, ça nous changera des bleus de Macron :


4 commentaires:

  1. J'aurais tellement à dire !
    Pour faire bref, c'est là que j'ai commencé ma carrière de filou, près du périph' et plus tard j'achetais mon pinard, du Gaillac, par bidons de trente litres, tout près de chez Marcel !
    Là, je fais vraiment en raccourci !
    j'ai eu bien du plaisir à te lire !

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Merci l'ami ! Peut-être as-tu croisé Didier, alors, dans tes pistes de fond de cuve... Lui aussi était adepte de tout ce qui s'apparente à la purée de septembre, surtout l'éthanol à l'intérieur. Moi à cet âge j'étais en province, puis dans le 95 à 18 ans. Ce n'est qu'à l'âge de 24 ans que les bistros refusant de me servir se situèrent Porte de Clichy et alentour...

    Peut-être l'occasion d'un article autobiographique plus détaillé sur ton blog...

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  4. intéressant ton article, et moi, je trouve les photos très chouettes!
    Courage Didier!

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