lundi 4 juillet 2016

Wroblewski milite

Pendant que le sel de la terre affronte les milices du Capital, Wrobly travaille au corps la France profonde. Témoignage.

    L’ « Euro » de balle au pied peut avoir des conséquences étonnantes, et peut-être que le parti de la révolution en pourrait tirer quelques avantages tactiques s’il parvenait à détourner les comportements induits par ce dispositif contre-insurrectionnel et réhausseur du taux de profit. Il y a peu, lors d’un repas de famille, j’entendis, le nez dans mon assiette, qu’on souhaitait que cette fois, tous les joueurs de l’équipe de France chantassent La Marseillaise, comme les autres équipes, je veux bien qu’il y ait des noirs dedans, mais quand même. Moi qui suis resté silencieux pendant quasiment 8 ans dans ce type de circonstances pour ne pas me fâcher avec les parents d’une personne qui m’est chère, je ne sais pourquoi, à ce moment m, sur ce sujet s, qui avait d’ailleurs déjà été évoqué quelques temps auparavant, quand j’avais appris que la personne qui ne se lève pas au son de l’hymne chauvin français (donc moi, mais mes hôtes l’ignoraient à ce moment-là) est un con, à ce moment m donc, je n’y tins plus, articulai : "qu'un sang impur abreuve nos sillons" (en bout de table : "comment ?"), déclarai que La Marseillaise, même en reggae, ça m’avait toujours fait dégueuler et que la figure du Dupont-la-Joie avec son béret sur le crâne et sa baguette sous le bras, j’avais toujours appris que c’était la honte. On me dit que j’étais français. Je répondis que je n’avais pas le choix. On scanda : si ! Je répliquai calmement que non, administrativement j’étais français, que je ne l’avais pas choisi. Je sentis qu’on avait envie, mais qu’on n’osa pas, me sommer de quitter cette France que je n’aimais pas, sale bougnoule, retourne donc dans ton pays ! A moi, né à Enghien-les-Bains d’un père morvandiau et d’une mère valdoisienne. Bon, il est vrai que j’ai un grand-père suisse allemand, mais comme bicot, vous avouerez qu'on fait mieux. J’ai néanmoins pris la mesure de la solitude que j'eusse pu ressentir si j’avais été plus bronzé…


    Je n’ai pas eu le temps de dire que le statut d’apatride m’irait complètement, s’il n’était synonyme de suppression de tout droit humain et animal. Comme ça renâclait en bout de table, j’enfonçai le clou en affirmant que, décidément, j’avais toujours chié sur La Marseillaise et que ce ne serait pas demain la veille que je ferais autrement. A l'extrême gauche du banquet nauséabond, on me lança que c’était bien malheureux d’avoir tant de membres de sa famille morts pour la France et d’entendre dire des choses pareilles, et de plus près, toujours à ma senestre, qu’avoir été envoyé en Algérie tuer des arabes et constater une pareille ingratitude était innommable. Je répliquai à la première intervenante que je me battrai jusqu’au bout pour que ça ne se reproduise pas, ces "morts pour la France", sans avoir le temps d’exprimer l’évidence que ces nombreux héros et martyrs ayant pullulé dans la famille dite devaient plutôt avoir rendu l'âme pour les industriels et les marchands de canons ; ou que s’il s’agissait de la deuxième guerre mondiale, ces vies sacrifiées l'avaient été soit contre la barbarie fasciste et nazie, pour la liberté, soit pour les idéaux du maréchal Pétain, non pour la France, cette baudruche vide de sens en tant que concept, puisqu’elle ne désigne qu’un territoire, une région, une province de la terre sur laquelle des antagonismes et des visions du monde irréconciliables s’opposent (j’ajoutais que ceux qui profitent de moi en France sont mes ennemis et que ceux qui souffrent à l’étranger sont mes amis). A l’adepte éventuel (mais là je suis méchant, je n’en sais rien) de la corvée de bois et de la gégène coloniale, j’expliquai, apaisant, qu’il avait été obligé, forcé, qu’il n’avait pas eu le choix, qu’on l’avait envoyé au casse pipe. Continuai en revendiquant être contre. En réponse, j’entendis, de cette personne que je vouvoie (l’ancien d’Algérie), que de toute façon j’étais contre tout, « même le travail ! » (ça j’ai pas relevé, pas le temps, mais cette accusation s’explique par les nombreux jours de grèves accumulés par moi ces derniers temps) : « Faux ! » répliquai-je « je suis pour la fraternité entre les peuples ».


   A ce moment de terrible tension dramatique, un petit jeune homme de 6 ans, ennuyé et peut-être apeuré par la tournure que prenais ce paisible repas de famille, cria : « j’comprends rien ! ». Un silence, que je brisai en lui répondant, pédagogue, « c’est une chanson qui dit de tuer des gens, c’est pas bien ». Ma gauche de rétorquer, mais là ma mémoire est approximative, je vous transmets le sens général avec mes propres mots : « mais les autres (les chanteurs d’autres hymnes nationaux), ils l'aiment, eux, leur pays, et ils vont nous la mettre profond ». Je m’enflammai en assenant que j’étais évidemment contre tous les chauvinismes, tous les patriotismes, tous les nationalismes.
    J’aurais pu aussi dire à mes contradicteurs que La Marseillaise était à l’origine une chansons révolutionnaire, et que, eux qui pleurnichent ad libitum sur le sort de Marie-Antoinette traitée plus bas que terre par ces monstres sanguinaires de régicides révolutionnaires, une once de cohésion la leur aurait fait honnir, autant que moi mais pour des raisons inverses. D’ailleurs, je suis toujours émerveillé de l’inversion totale du sens et des connotations liés à l'hymne tricolore et au terme « patriote » qui s'est dessinée au cours du XIXème siècle, en s’éloignant de la révolution française. A l’époque, pour les réactionnaires, le patriote, c’était le casseur, le gréviste d’aujourd’hui, l’internationaliste. Tout le contraire d'un para.


   Ainsi de ces deux citations :

  "Quels sont ceux qui se vantent d’être les patriotes de 89 ? Ce sont ces hommes qui ont ouvert la carrière de malheurs et de crimes que nous parcourons depuis cinq années ; ce sont eux qui sont responsable du sang qui a coulé, de toutes les victimes qui ont péri sur l’échafaud, de tous les forfaits qui ont souillé la France."
On dirait du Apathie, c’est d’un folliculaire royaliste vers 1795.

   "Nous ne cesserons de poursuivre les factieux, les anarchistes, tous ceux qui depuis cinq ans ont couvert la France de deuil et de carnage. Nous foulerons aux pieds leurs cadavres, ou ils danseront leur infâme Marseillaise sur notre tombeau."
Fillon ? Valls ? Fourest ? Non, le même la même année.


  Terminons par un texte du grand Babeuf en son Tribun du Peuple, qui prouve que l’anarchiste, lui, n’a jamais changé de camp et que le mot qui le désigne n’a rien perdu, ni de son charme ni de son éclat, si ce n’est le retournement du stigmate et son assomption par ceux-là même qu’il était censé insulter :
  "«Voilà ces hommes adorateurs de l’anarchie, et qui voudroient révolutionner toujours !... »
   On sait bien que c’est ce que va nous dire le directoire exécutif, qui prétendra, sans doute, nous avoir absolument confondu avec cette demi-phrase. […]
   Ce mot d’anarchistes, usé sous Lafayette, usé sous Louis XVI, usé sous la Gironde, se reproduit maintenant avec une scandaleuse affectation. Il doit être familier à toutes les cours, nous le savons."

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