lundi 22 octobre 2018

La dose de Wrobly : vendémiaire 2018 EC


   Armand Ernest.- L'Initiation individualiste anarchiste.
   Quand j'étais ado, Stirner était pour moi une vache sacrée. J'ai lu plusieurs fois l'Unique et sa propriété, dans deux éditions et traductions différentes. Plusieurs fois également, dont une version bilingue (en allemand, donc), le Faux principe de notre éducation (dont j'aimais à me réciter la phrase : "Wer ein ganzer mensch ist, braucht keine Autorität zu sein, de mémoire). Enfant timoré et solitaire, comme c'est souvent le cas (beaucoup de souffreteux, malades, infirmes ont des rêves de grandeur, de puissance, de panache...), je pensais avoir trouvé mon modus vivendi, et que la révolte contre toute autorité et tout principe supérieur de droit a priori m'apporterait le bonheur, la jouissance sans entraves et la vie sans temps mort. Las, mon pire ennemi n'était pas à l'extérieur, mais bien en moi-même, et j'avais beau avoir battu en brèche tous les préjugés (enfin certains, restons humble), je restais un écorché vif incapable d'aller vers les autres et d'établir des relations un tant soit peu satisfaisantes (ne parlons pas d'épanouissantes) comme peuvent le faire, même en régime de civilisation autoritaire, des personnes plus normales. J'en vins à finir complètement vaincu, et à admettre que seul, je n'étais pas grand chose, je pouvais quelquefois peu et souvent pas, et que j'avais besoin d'aide, l'aide des autres, l'aide d'une force collective, l'aide des relations humaines. J'ai donc fini par laisser tomber Stirner, mais en conservant une vive sympathie et nostalgie pour lui et son oeuvre (qu'est-ce que je ne pouvais pas blairer les Marx et Engels, ces premiers de la classe branchouilles qui aspiraient au rôles de caïds et se foutaient de sa gueule : même aujourd'hui, alors qu'on nous dit parfois que finalement ils n'étaient pas si méchants que ça, j'ai un peu de mal). Et puis finalement, je l'avais mal compris, Stirner : il ne nous dit pas de ne pas nous attacher, de ne pas nous associer, mais de le faire en pleine conscience, sans tomber dans les panneaux, ruse ou force des dominants ou oppression collective autonome. Que si je m'associe, c'est pour augmenter ma (notre, nos) puissance(s) et ma (notre, nos) libertés(s), quitte à sacrifier certains aspects jugés moins importants, et non pas pour réaliser mon Humanité, l'Histoire, ou la Cause, Ceci ou Cela. Comme l'avait écrit Catherine Baker, je crois, il ne nous dit pas "chacun pour soi", mais "chacun par soi". Et l'association d'égoïste qu'il propose comme option, n'est-ce pas l'émergence d'un communisme libertaire, mouvant et reconfigurable ad libitum ? Armand n'a pas ce style d'un hégélien qui détruit tout et pour finir le cahier des charges lui-même que l'Hegel assigne à l'humanité via son élite bourgeoise. Ce qui m'a surpris, c'est qu'il n'est pas du tout social. Pour lui, l'idéal de vie, comme Brassens, c'est la solitude. Et son credo économique c'est "propriété de l'outil de production et des produits du travail", et libre concurrence par troc ou échange monétarisé entre les producteurs, sans intervention extérieure. Çà pourrait avoir un côté miltonfriedmanien, mais ça n'a évidemment rien à voir, le monde d'Armand répudiant avant tout domination et exploitation : chacun possédera son outil et jouira comme il l'entend de ses produits, mais il ne pourra pas posséder plus que ce qu'il est capable de produire lui-même. Cela relèverait plus du marché populaire de la Plaine, du bazar, de l'agora, que du totalitarisme des hyper-marchés. J'ai quand même du mal à imaginer. Que personne ne me force à donner le fruit de mes efforts, soit, même si j'ai quand même à un moment ou un autre profité de structures prééxistantes qui m'ont aidé à produire ce que j'ai produit, ok. Mais deux problèmes se posent à moi :
1- Les infirmes, les fous, les enfants, les vieillards, les malades, ils meurent ?
2- Seul, en me crevant comme une bête de somme, si j'arrive à m'autosuffire en céréales par exemple, qui me construira ma maison à côté, m'apportera l'eau courante, me soignera, me filera mes vêtement chauds pour l'hiver ?... Je pourrai vendre mes céréales, mais en produisant seul, aurais-je un excédent suffisant à vendre après ma propre subsistance et sera-ce suffisant pour mes autres besoins ? Sans force collective mes forces sont bien réduites, ou est-ce parce que j'ai tout désappris et que tous les moyens de la terre nous ont été confisqués depuis quelques siècles que je ressens cela ? Il est vrai qu'Armand place la liberté individuelle avant l'économie, secondaire, et qu'il préfère une cabane et la liberté que le confort avec quelques sacrifices au collectif. Pourquoi pas, on retrouve là un peu de zad et de décroissance. Il dit que le collectif ne doit être qu'un pis aller. Mais par là il dénigre toutes les joies qu'on peut retirer de l'amitié, de l'action commune, de l'entraide. Il critique beaucoup le communisme libertaire : il met à jour les problèmes que poseraient un principe aussi simple et apparemment évident que la prise au tas, si bien que ça en devient une véritable usine à gaz, mais il me semble que sa propre solution de producteurs individuels passant leur temps à acheter et vendre en est aussi une, et que pour quelqu'un ayant piètre opinion de l'économie, il passerait le plus clair de son temps à marcher dedans. Pourtant, dans les théories et ses mises en pratique du communisme libertaire, liberté est laissée à ceux qui préfèrent produire seuls de le faire, et liberté à ceux qui préfèrent la mise en commun de la réaliser. Pour ma modeste part, je pense que c'est l'attachement exclusif à l'une ou l'autre option qui est anti-libertaire (d'ailleurs Armand ne condamne pas absolument l'association, il la déprécie, simplement), et qu'un communisme/individualisme réellement anarchiste devrait être un libre jeu de ces formes de vie.

   Ouf ! Suis-je verbeux ! Tout ça pour continuer à s’asphyxier du vent trop chaud de l'haleine fétide du Capital bien parti pour poursuivre son cycle d'empoisonnement ad mortem, finalement. Mais ça m'a fait passer un quart d'heure d'optimisme révolutionnaire, toujours bon à prendre...

   Je n'ai pas encore fini le livre. Peut-être que certaines de mes questions y trouveront réponse. Et puis j'espère qu'il va finir par parler du nudisme révolutionnaire, c'est quand même pour ça que j'ai acheté le livre, et jusqu'à présent peau d'zob !



    Baudelaire Charles.- Oeuvres II. 

Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis et des vomissements du bagne ; de cette multitude soupirante et languissante à qui la terre doit ses merveilles : qui sent un sang vermeil et impétueux couler dans ses veines, qui jette un long regard chargé de tristesse sur le soleil et l’ombre des grands parcs, et qui, pour suffisante consolation et réconfort, répète à tue-tête son refrain sauveur : Aimons-nous !… [...] je sens toujours revenir dans ma mémoire, sans doute à cause de quelque secrète affinité, ce sublime mouvement de Proudhon, plein de tendresse et d’enthousiasme : il entend fredonner la chanson lyonnaise,

Allons, du courage,
Braves ouvriers !
Du cœur à l’ouvrage !
Soyons les premiers.

et il s’écrie :

« Allez donc au travail en chantant, race prédestinée, votre refrain est plus beau que celui de Rouget de Lisle. »
Charles Baudelaire, période socialiste, avant qu'il ne découvre et ne s'entiche, aux alentours du coup d’État de Badinguet, de Joseph de Maistre, et qu'il ne décide de se distinguer en posant au réactionnaire, comme un vulgaire Michel Houellebecq.

   Ce tome II des Œuvres complètes donne à lire toute la critique, littéraire, d'arts plastiques (là où il est le meilleur), musicale... et tous les articles de journaux, revues au autres, du grand poète.




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