- Edgar Allan Poe.- Contes - essais - poèmes.
Je poursuis la lecture de ce pavé commencé ici. Je réalise que, à ce stade de sa vie et de son oeuvre en tout cas (tous les contes sont juxtaposés par ordre chronologique d'écriture, la compilation traditionnelle due au traducteur Baudelaire en Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, etc. étant ici ignorée), à ce stade donc, Poe est avant tout un satiriste et un parodieur. Ces contes les plus angoissants, morbides, ésotériques, merveilleux, gothiques... sont en fait des pastiches à charge des littérateurs de son temps. Même si parfois je rigole bien quand la satire devient caricaturale, je suis tout de même un peu déçu : quand j'étais minot j'avais tout lu au premier degré, et j'avais pris bien du plaisir à avoir les jetons ! Mais cela dit, certaines obsessions de l'auteur traversent quand même parfois la satire, et on aborde alors, au-delà de la critique, à une véritable littérature d'épouvante.
Jonquet est peut-être mon auteur de polar français préféré, un virtuose de l'angoisse et du suspense, doublé d'une exposition des saloperies de notre monde, à la fois réaliste et gore dans l'effet loupe de sa focale littéraire. J'ai tout lu maintenant, sauf le truc posthume reconstitué, ça sent trop le business. Mais là il est un peu déconcertant. Il enfonce des portes ouvertes (la misère ne tire pas vers le haut, fait de ses victimes des personnes moins policées que qui bénéficie d'un certain confort et d'une certaine liberté, la jeunesse dépossédée devient parfois turbulente, trompant son ennui par des jeux dangeureux, avec de possibles dérives maffieuses, violentes, ou bien des chutes dans les paradis artiriciels durs... en restant souvent éloignée de la culture révolutionnaire généreuse, comme les autres classes ou sous-classes d'ailleurs, puisque l'idéologie de prédation de la classe dominante est l'idéologie dominante, y compris, et avec la brutalité que leur condition peut créer, celle des classes dites dangereuses. Après avoir emménagé à Belleville dans un néo-quartier kafakaïen opposant spatialement petite bourgeoisie intellectuelle et damnés de la terre, séparés par une grande esplanade déserte et sans vie de quartier, Jonquet découvre les apaches de les loubards. Sauf que quasimment tous ceux-là, dans le Belleville de la fin de années 90, sont magrhébins, c'est lui qui l'écrit. Certes, ce constat reste d'un homme de gauche, qui ne manque pas de stigmatiser aussi urbanistes, sociologues de gouvernement, inégalité, chômage, prison comme perspective et qui déplore le vote Le Pen, même si il affirme que son meilleur promoteur est "la bande à nique ta mère" elle-même (alors qu'on sait que des campagnes reculées, sans cités ni immigrés, sont parfois dominées elles-aussi par le vote d'extrême droite). Il décrit un Belleville très noir, mais ici ce n'est pas un roman. Ça fait vraiment flipper, on se représente une armée de clochards, de dealeurs et de toxicomanes, de "racailles" à mobylettes ou à pitt-bull accomplissant au quotidien un massacre de femmes et d'enfants, catégories de population que Jonquet invoque souvent pour mettre en avant ce qu'il considère comme un scandale. Certes, vivre dans la peur des incivilités, de se faire dépouiller ou cogner, constater la connerie, même et peut-être surtout venant des pauvres, pour un ancien trotskyste qui se veut fidèle à ses vieux rêves, quand soi même on a toujours voulu prendre leur parti, et qu'on a de quoi se loger et vivre, certes, mais qu'on n'est ni Bernard Arnault, ni un commerçant plein aux as grugeant le fisc, ni un flic, ni un tonton flingueur, comme pour moi (bordélisé pendant 10 ans par des jeunes du 93, volé dans ces établissements scolaires comme sous les tours à la portière, baffé lycéen parce qu'apeuré, réceptacle de pierres en me rendant au turbin...) ça peut créer des tensions. Mais là, on ne voit que le côté méprisable et haïssable des classes populaires et du sous-prolétariat soumis à l'ordre des forts et recherchant les plus faibles à exploiter primitivement, aucun côté lumineux. Et on ressent chez Jonquet la haine et l'aigreur d'être confronté au quotidien à l'inconfort de cette gentrification à-demi. Certes, il a, en plus, peur pour son enfant. Même s'il ne donne pas de solution qui serait satisfaisantes pour des révolutionnaires qui devront ralier une majorité des classes les plus pauvres pour pouvoir éspérer voir efficacement et durablement faire bouger les choses vers le communisme (anarchiste en ce qui me concerne), ses quelques remarques de gauche humanistes font malgré tout qu'on ne l'assimile pas tout à fait à l'un de ceux auxquels s'adressait Nicolas Sarkozy dans sa célèbre adresse du 26 octobre 2005 à Argenteuil : "Vous en avez assez de cette bande de racaillles, on va vous en débarrasser". Je n'ai pas fini le livre, mais pour le moment Jonquet ne parle pas d'Islam, les jeux bruyants et dangereux, la bêtise, la drogue, les incivilités et la délinquance demeurant à ce stade les seuls stigmates exposés par la description de la "bande à nique ta mère". Jonquet nous a tellement jouissivement embarqué dans son suspense et son épouvante dans ses romans, qu'on lui accorde de ne critiquer ici que les idéologies dominantes dégradées (virilisme, business, loi du plus fort...) et les causes des réactions violentes et agressives provoquées par le capitalisme rapace, plus qu'une détestation diffuse des personnes aux cheveux crépus et habillées en survêtements premiers prix, qui chercherait tous les bons alibis de gauche pour se justifier, et on choisit de croire que, s'il avait vécu, il n'aurait pas tourné Charlie.
Ce petit livre est sorti en 1999. Je ne sais pas trop comment à tourné Belleville depuis, j'y passe rarement et je n'y vis pas. Ce qui est sûr c'est que celui-ci fait bigrement moins envie que celui, foutraque et haut en couleurs, de Daniel Pennac.